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Il faut trouver une espèce de conscience et de gratitude envers la vie.

Photo du rédacteur: Challenge Bonheur Challenge Bonheur

Dernière mise à jour : 17 janv.


Interview de Muriel Flis-Trèves



Y-a-t-il un thème récurrent chez tes patients?



Le thème récurent est l’incertitude, l’imprévisibilité. La menace. Mais cependant, il y a une différence avec le 1er confinement dans la façon de réagir à ces thèmes. Aujourd’hui, il y une réflexion sur soi, sur le contrôle qu’on n’a plus sur son existence. L'acceptation qu’on ne peut pas agir sur tout (la preuve avec le virus). Cette prise de conscience, s’accompagne d’un lâcher prise qui devient source d'une expérimentation positive car nouvelle et inattendue dans ses effets.. Pour la première fois, certains acceptent de n’être que dans le présent. Pas de projection, pas d’anticipation. Il y a quelque chose qui est plus fort que tout, plus fort que vous et il n’est pas question de s’y confronter mais plutôt de renoncer raisonnablement. L’exemple de Noël est typique. Certains y ont déjà renoncé par souci de l’autre ( raisonnable) quand d’autres ne pensent qu’à contourner le sujet pour savoir comment se retrouver nombreux en famille mais en cachette pour cette fête ( rebelle). Comment gérer cette tension entre d'un côté des membres d'une famille qui soudain se retrouvent 24/24 ensemble et donc manquent d'espace et de l'autre des personnes qui n'ont pas assez de connections et se retrouvent très isolées?




Il y a souvent un sentiment d’envahissement, d’étouffement par la présence de l’autre. La pièce principale est la plupart du temps occupée par l’un des membres du couple qui s’installe et prend toute la place, dérange les autres à cause du téléphone, internet… s’accusent d’égoïsme. C’est la crise larvée car personne ne peut partir. Ils sont coincés en plus d’être confinés. Double peine. Conflits interminables pour faire accepter de changer de pièce même s’il y en a d'autres à disposition. Chacun veut le meilleur au détriment de l’autre. Les couples se découvrent l’un l’autre, ulcérés des défauts de l’autre, ils s’agacent, explosent. Chez d’autres, au contraire, c’est très fusionnel et il y a une aubaine à se retrouver 24h sur 24 ensemble sans se quitter. C’est même rassurant. Penses-tu que l'impossibilité de se toucher, de se rapprocher va altérer nos relations?




L’impossibilité de se toucher n’est pas vécue par tout le monde de la même façon. Tout dépend du mode habituel de relation, certains sont très tactiles et d’autres non. En général c’est quand même ressenti comme une frustration. Mais d’autres modes de relation prennent une autre tonalité. La parole, les mots ont pris la place des baisers et dans les nouvelles habitudes, les petits mots tendres sont plus fréquents. Les "ma chérie, mon chouchou, ma belle, ma louloute" qui n’étaient utilisés que dans un cercle restreint, prennent plus de place et ça remplace le gros câlin. Certains disent: « je t’embrasse fort » ce qui n’était jamais exprimé comme ça auparavant. Et puis, on prend des nouvelles, on papote, c’est fou tout ce qui peut se dire en mots et en écrits (SMS) en ce moment. Les mots, les appels téléphoniques sont les nouveaux câlins qui se voudraient aussi proches qu’un toucher.


Allons-nous être affectés durablement par le fait de ne pas accompagner les gens qu'on aime dans le deuil?



Oui, je pense que de ne pas accompagner la mort de ceux qu’on aime est intolérable. Il existe déjà une culpabilité à ne pas avoir été présent. Mais pas seulement, c’est un manque inacceptable, laisser l’autre dans le silence et l’absence. Une initiative très belle avait été faite lors du 1er confinement, à l’hôpital de la Salpétrière en soins palliatifs pour les patients, avec la mise au point d’une radio spécialement destinée avec des programmes spécifiques et adaptés et aussi des tablettes et des téléphones avaient été offerts pour que les patients puissent communiquer avec la famille. La voix, la parole, le lien avait été rétabli.

Faut-il maintenir des routines, des rituels et des limites en ce moment?



La journée, chacun aménage son espace et son imaginaire à sa façon. Mais dans un univers où les repères habituels sont brouillés, où l’incertitude règne, où le temps s’étire comme un jour sans fin, il est souvent intéressant de « contrôler » sa journée et d’établir une check-list des choses à faire, tout en ménageant des zones réservées répétitives et à horaires fixes pour des activités personnelles ludiques, sportives ou relaxantes. Sans oublier de prendre l’air, sauter, danser, courir mais ne pas oublier de profiter de cette heure qu’on nous accorde. Ces horaires fixes s’ils se répètent inchangés aux cours des semaines donnent l' impression de maîtriser quelque chose de sa vie et rassurent par leur ritualité. Ce qui revient, ce qui est attendu devient comme un projet, un programme à réaliser. Cela impulse du courage et de l’énergie. Mais aussi un état d’esprit différent face à l’adversité. En effet, certains vivent ce qui arrive comme un adversaire qu’il faut combattre. Et pour ce faire, il est vital d’être en forme. Le soir, chacun peut/doit se remémorer sa journée et se féliciter du travail accompli. Je crois aussi qu’il est essentiel, en accompagnement de ces comportements, de s’arrêter « sur image » et de savoir se féliciter et se réjouir de ce qu’on vit à cet instant. Une espèce de conscience et de gratitude envers la vie.



A propos de Muriel Flis-Trèves



Muriel Flis-Trèves est Psychiatre et Psychanalyste, co-fondatrice avec le Pr René Frydman de Gypsy, Membre de la Société Psychanalytique de Paris, attachée à l’hôpital Necker, Institut Imagine, et Enseignante à l’Université Paris Descartes.

Muriel est également auteure de nombreux ouvrages, le Deuil de Maternité chez Plon, les 100 mots de la maternité chez PUF, et réalisatrice de films de fiction et documentaires.

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